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Depuis quelques jours maintenant l’affaire fait grand bruit dans le pays. Tout part d’une vidéo diffusée récemment et qui date de Laylatoul Qadr (nuit du destin) où on voit le célèbre chroniqueur en langue N’ko Nanfo Ismaël Diaby faire la lecture du Coran en malinké.

La communauté musulmane de Guinée en général et celle kankanaise en particulier y ont vu un péché véniel contre l’islam, religion dominante du pays. Et depuis on assiste à une vendetta contre la personne de Nanfo Ismaël Diaby.

Ici, je ne prétends pas défendre le professeur Nanfo Ismaël ni s’attarder sur l’aspect religieux de l’affaire, je n’en ai pas les compétences.

Depuis ce lundi, la ligue islamique régionale a pris des sanctions contre l’auteur de ladite forfaiture. Il lui est interdit notamment d’exercer toute activité religieuse, toute intervention dans les médias à l’échelle de la région de Kankan jusqu’à nouvel ordre.

L’objet de cet article est de jeter un regard sur la décision administrative de la ligue islamique de Kankan. Là-dessus, il y’a matière à débattre, il y’a eu manifestement atteinte à quatre libertés fondamentales protégées par la constitution guinéenne entre autres : le principe de laïcité, la liberté religieuse, la liberté d’expression et d’opinion, la liberté d’information et enfin la liberté d’enseignement.

De l’atteinte au principe de la laïcité, à la liberté religieuse et à ses corolaires.

Le principe de laïcité est garanti par l’article 1er de la constitution guinéenne qui indique le caractère laïc de la république, en somme de l’État guinéen.

La laïcité est définie comme le principe qui garantit aux croyants et aux non-croyants le même droit à la liberté d’expression de leurs convictions. Elle assure aussi bien le droit d’avoir ou de ne pas avoir de religion, d’en changer ou de ne plus en avoir.

 Elle garantit le libre exercice des cultes et la liberté de religion, mais aussi la liberté vis-à-vis de la religion : personne ne peut être contraint au respect de dogmes ou prescriptions religieuses. La laïcité suppose donc la neutralité religieuse de l’État et des pouvoirs publics, c’est-à-dire que l’État n’a de préférence pour aucune religion, il ne reconnaît et ne salarie aucun culte et ne régit pas le fonctionnement interne des organisations religieuses.

 De cette séparation se déduit la neutralité de l’État, des collectivités territoriales et des services publics, non de ses usagers. L’ancien président français François Hollande donne une définition de la laïcité à laquelle je souscris totalement, je le cite : « la laïcité n’est pas la religion de ceux qui n’ont pas de religion, elle n’est pas la religion d’État contre les religions, elle est un ensemble de règles et de droits qui organisent la vie de la République ».

 

Si on se fie à ces définitions et à l’article 1 de notre constitution, en quoi une structure étatique peut-elle interdire à un individu d’exercer sa religion comme il l’entend ? Quelles peuvent être les limites à la liberté religieuse ?

Si la ligue islamique guinéenne est là pour veiller à la bonne pratique de l’islam, à son organisation, son fonctionnement, elle n’a pas compétence pour interdire à quelqu’un d’exercer sa foi religieuse. Elle se substituerait dans ces conditions au juge. Une telle interdiction ne peut être que le fait du juge, le seul habilité à prendre une telle mesure.

Et encore faut-il que des motifs légitimes et sérieux sous-tendent la décision du juge. Ce qui nous amène à évoquer les limites à la liberté religieuse.

En effet, comme il est indiqué plus haut, la liberté religieuse est une liberté fondamentale protégée à l’article 7 de notre constitution. En outre, cette liberté découle de la liberté de conscience, c’est la liberté de croire ou de ne pas croire. Cette liberté religieuse s’exerce dans le cadre d’un culte qui peut être musulman, chrétien, animiste ou même païen, leur exercice est libre et garantit par l’article 14 de la constitution : « Le libre exercice des cultes est garanti. Les institutions et les communautés religieuses se créent et s’administrent librement ».  Cependant, le libre exercice des cultes doit se faire dans le respect des restrictions édictées dans l’intérêt de l’ordre public. Cette notion se reflète notamment dans l’article 10 de la déclaration française des droits de l’homme qui dispose que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuse pourvue que leurs manifestations ne troublent pas l’ordre public». La Guinée relevant de l’ordre juridique francophone, cet article trouve un écho dans l’ordonnancement juridique de notre pays.

Qu’on nous dise en quoi prier en malinké ou dans sa langue maternelle troublerait l’ordre public, et qui justifierait une telle sévérité de la ligue islamique kankanaise. Jusqu’à preuve du contraire la prière en N’ko du professeur Nanfo n’a troublé aucun ordre public, encore moins porté préjudice à quelqu’un d’autre. J’entends bien que cela puisse choquer des musulmans attachés au caractère authentique de leur religion, mais n’empêche Nanfo Diaby est libre d’exercer sa religion comme il l’entend, tant que cet exercice ne trouble pas l’ordre établi ou que l’intéressé tente d’imposer cette façon de prier aux autres.

Ainsi, il faut bien distinguer les opinions qui sont libres et leurs manifestations qui restent encadrées. Chacun est libre de développer avec conviction son opinion ou ses croyances, mais il ne peut les imposer à ceux qui ne veulent pas les partager. Si le karanfa Nanfo Ismaël avait décidé d’imposer la prière en N’ko aux gens de Nabaya, c’est là où la ligue islamique pouvait sévir, le contraire est un abus de pouvoir et d’autorité qui ne doivent laisser de marbre aucun défenseur des libertés et des droits de l’homme dans notre pays.

De l’atteinte à la liberté d’information et d’enseignement

L’autre pan de la décision de la ligue islamique régionale est, en plus d’interdire à Nanfo d’exercer sa religion, on l’interdit de donner ses chroniques culturelles et historiques dans les médias de la région. On l’interdit même de participer à des cérémonies religieuse outre que la prière quotidienne, ce qui veut dire qu’un citoyen de Kankan qui souhaiterait par exemple se marier religieusement et qui voudrait que ce soit Nanfo Diaby qui lui célèbre son mariage, il ne pourrait tout simplement pas se marier à cause de cette décision arbitraire des autorités islamiques de la 2e ville du pays.

 

La plus incompréhensible de cette décision du 10 juin est l’ampliation faite aux radios de la place. Ce qui veut dire que l’incriminé au-delà de la condamnation religieuse, ne peut plus aller dans les médias pour donner ses chroniques habituelles qui lui ont permises d’être connu et respecté dans toute l’Afrique occidentale, oui au-delà de la Guinée car le N’ko n’est pas que guinéen, c’est une langue africaine reconnue dans plusieurs autres pays du continent.

Par cette décision, les autorités de la ligue foulent au pied l’alinéa 2 de l’article 7 de la constitution sur la liberté d’expression et d’opinion : « Il (citoyen) est libre d’exprimer, de manifester, de diffuser ses idées et ses opinions par la parole, l’écrit et l’image ». Si c’est le droit à la liberté d’expression de Nanfo qui est violé par cette décision, c’est aussi la liberté d’information des médias qui est attaquée, et au-delà le droit d’accès des citoyens de la région de Kankan à l’information qui est limité. Nul doute que les chroniques du professeur Nanfo demeurent les émissions les plus écoutées à Kankan. Pourquoi donc priver les citoyens de Nabaya d’écouter l’information qu’ils se sont choisie librement ?

Au-delà de la liberté d’expression et d’information, la décision de la ligue islamique porte atteinte à la liberté d’enseignement. Cette liberté d’enseignement c’est celle dont les citoyens de Kankan, les citoyens de l’Afrique de l’Ouest, bref de tous les adeptes de la langue N’ko étaient habitués à recevoir à chacune des prises de paroles de l’héritier de Solomana Kanté. Il faut bien le reconnaitre Nanfo par son acharnement, son travail a contribué de manière décisive à l’expansion de cette écriture africaine, la sagesse et l’enseignement de ses paroles ne sont plus aujourd’hui à démontrer.

Au regard de tout ce qui vient d’être dit, la décision de la ligue islamique de Kankan est disproportionnée et manifestement illégale. De plus, pour une question de fonds, elle n’est motivée par aucune disposition juridique. En outre, la ligue islamique de Kankan n’est pas la justice pour interdire à un citoyen modèle d’exercer sa religion.

Pour terminer, cette décision de la ligue islamique de Kankan n’est pas neutre. Elle est celle des autorités de Conakry, et elle comporte beaucoup plus de sous-entendus qu’elle ne laisse transparaitre. En outre, il faut craindre pour le futur car une décision similaire n’est pas à exclure.

Cette décision met également à nue les méfaits du mimétisme juridique des États africains qui sont prompts chaque fois à traduire dans leur législation, des textes issus de d’autres peuples et ça pose ostensiblement des problèmes d’applicabilité.

L’heure est également venue pour l’État guinéen de clarifier sa relation avec la religion musulmane dans notre pays car il faut bien l’avouer, cette relation est confuse, pour ne pas dire que l’islam a tendance à être considérée comme la religion d’État, ce qui serait contraire à notre constitution. Jusqu’à preuve du contraire la Guinée n’est pas un État islamique.

Nous avons certes une société fortement religieuse et islamisée mais l’État, lui, demeure laïc.

Par Alexandre Naïny BERETE, étudiant en Master à la faculté de Nantes.