Impact du covid-19 sur la sécurité alimentaire : Ce que préconise Dr Ibrahima Diari Diallo…
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Dans cet entretien accordé à notre rédaction, Dr Ibrahima Diari Diallo donne sa lecture de l’impact du Covid-19 sur la sécurité alimentaire en Guinée. Par ailleurs, ce PhD en Sciences des Aliments et Nutrition propose des pistes de solution pour limiter la propagation de la pandémie, mais aussi pour amoindrir l’impact sur la sécurité alimentaire. Lisez !

Depuis début mars, la Guinée est touchée par le Coronavirus. De nos jours, le pays enregistre plus de 1000 personnes contaminés et au moins 7 morts. Aujourd’hui quel est l’impact du Covid-19 sur la sécurité alimentaire ?

D’abord, il faut dire que ce n’est pas la première fois que l’humanité fait face à une épidémie. Il y’a eu près de 16 épidémies de l’antiquité à ce jour. Mais les plus connues et décrites sont : la peste qui a frappée l’Europe vers 1347 à 1350 tuant environ un tiers de la population, la fièvre jaune apparue à la fin du 19ème siècle avec plus de 100 000 morts. Au 20 ème siècle, il y’a eu la grippe et le sida qui ont été aussi assez terrifiants et ont endeuillés des millions des familles dans le monde. La Guinée et certains pays Africains ont été frappés par la maladie à virus Ebola. Depuis la fin de l’année 2019, l’humanité entière fait face encore à une autre épidémie de coronavirus, baptisée Covid-19 qui a pris naissance en Chine et qui a fini par toucher presque toute la planète.

En Guinée, la maladie est déjà à sa 2ème  voire 3ème phase avec plus de 1300 cas positifs à ce jour selon les données officielles, contribuant ainsi à ralentir toutes les activités économiques.

En tout état de cause, comme je l’ai mentionné dans ma précédente tribune à la fin du mois de mars 2020 qui a été publiée sur mosaiqueguinee.com et couleurguinee.info, la propagation de la pandémie du Coronavirus (COVID-19) est censée avoir un effet négatif et dévastateur sur plusieurs plans, notamment l’agriculture et la sécurité alimentaire.

Sur le plan agricole :

L’évolution du virus pourrait être préjudiciable pour la campagne agricole et compromettre ainsi les résultats en termes de productivité. L’impact pourrait être donc :

Une diminution de la main d’œuvre et perturbation du calendrier agricole

La réduction des mouvements des citoyens à travers le confinement et l’isolation des villes ou villages touchés, empêche forcément les agriculteurs et la main d’œuvre salariée ou communautaire de faire leur travaux.  Par conséquent, les travaux préparatoires champêtres et la mise en place des cultures vont être affectés et retardés.

Tout ceci contribuera à la diminution des superficies à emblaver et entrainera une réduction de la production habituelle. Certains ménages se verront donc par la suite dans l’obligation de consommer les semences pour pallier aux besoins alimentaires immédiats.

Faible utilisation d’intrants agricoles et diminution de la production

La faible disponibilité ou le manque des intrants agricoles sur le marché dû à la réduction des transactions commerciales et l’augmentation probable du prix peuvent conduire à une faible utilisation des engrais et pesticides, ce qui ne permettrait pas d’avoir les rendements potentiels des cultures entrainant ainsi une faible production.

Diminution du revenu des producteurs

On sait que la source de revenue la plus importante des producteurs est la vente du surplus de la production. Mais si la propagation de la maladie continue jusqu’à la fin des prochaines récoltes, la réduction de la production entrainera la diminution et/ou le manque d’excédent commercialisable dans les ménages. Avec la réduction des mouvements des populations et les échanges commerciaux, les produits riches en eau comme la pomme de terre, les fruits et les produits maraichers seront invendus et vont pourrir sur place. A défaut, ils seront vendus à vil prix. Donc, ne permettra pas aux producteurs d’accroitre leurs revenus habituels et va affaisser leur chiffre d’affaire. Ce qui les plongera dans une situation difficile car ne pouvant plus ou difficilement restituer les dettes, les prêts bancaires et couvrir les besoins primaires de la famille, notamment : les frais de soin médicaux, les frais de logement et autres obligations sociales.

Sur le plan de la sécurité alimentaire et nutritionnel

Il faut d’abord savoir qu’on parle de sécurité alimentaire lorsqu’une population a, à tout moment un accès permanent à une nourriture suffisante, saine et nutritive lui permettant de satisfaire ses besoins alimentaires pour mener une vie saine et active.

Avec la propagation du coronavirus dans le pays, l’accessibilité des ménages aux produits alimentaires de base va être réduite à cause : de la faiblesse de la production qui ne permettra plus aux ménages de couvrir les besoins alimentaires sur toute une année jusqu’aux prochaines récoltes et la faiblesse des échanges au niveau national dûe au confinement ou à l’absence d’excédents de produits agricoles à vendre. 

 A cela s’ajoute l’arrêt de la chaine de distribution par le Programme Alimentaire Mondiale (PAM) des rations alimentaires dans certaines écoles qui sont fermées à cause du virus et qui étaient vitales pour plus de 172 000 enfants. Ces enfants seront désormais exposés à la faim et à une insécurité alimentaire et nutritionnelle sans précédent. Il faudra donc craindre une flambée de la malnutrition dans ces zones vulnérables alors que le taux de malnutrition chronique est environ de 25% pour les enfants de 0 à 59 mois, soit plus de 740 000 enfants chaque année en Guinée.

Toute cette batterie d’impacts négatifs sur le plan agricole et nutritionnel va exacerber l’insécurité alimentaire dans le pays alors qu’elle est déjà critiqué, puisqu’environ 21,8% des ménages guinéens sont en situation d’insécurité alimentaire (soit 2 459 415 personnes) selon les  Programmes Alimentaire Mondiale de 2018.

Le ministre du Commerce a annoncé que pendant 6 mois, il n’y aura pas de manque de denrées alimentaires. Qu’en pensez-vous ?

Je le souhaite vivement de tout mon cœur, mais je ne suis pas rassuré, quand on sait que la Guinée est un gros importateur des denrées alimentaires de première nécessité car la production locale est insuffisante pour la consommation locale. Conséquence, on se tourne vers les importations. En 2018 par exemple, selon les données du Port Autonome de Conakry et celles de la Douane Nationale, le niveau d’importation du riz était aux environs de 544 135 tonnes, l’huile végétale 46 000T et le blé 532 000T. Il se trouve qu’aujourd’hui, tous les pays fournisseurs notamment l’inde, la chine et les USA sont frappés sévèrement par le virus. Pourront-ils dans les mois à venir continuer à nous fournir alors que leurs populations sont dans le besoin ? Je pense non. Je ne vois pas dans ce cas, comment il ne pourrait y avoir de manque de denrées alimentaires d’ici la fin des prochaines récoltes.

La question à poser au ministre est de savoir sur quelle base l’a-t-il affirmé ? Maitrise-t-il tous les paramètres de la consommation alimentaire de la Guinée? Ainsi que les données liées à la production locale et les importations ?

A mon avis, une enquête ou étude sérieuse devrait être menée d’abord par son département sur tous ces aspects avant de projeter des solutions. Si non on risque d’être surpris. Rien ne se fait au hasard.

Le Premier ministre vue la pauvreté indique qu’on ne peut pas fermer les marchés. Quel est votre point de vue ?

Ecoutez, vu nos réalités africaines ainsi que la précarité dans laquelle la population vit, je suis d’accord avec le Premier ministre. Je pense qu’il serait difficile d’envisager cela comme solution puisque les gens vivent du jour au jour. Par contre, on pourrait envisager une isolation de la capitale Conakry qui constitue l’épicentre de la maladie en Guinée pour une période de 2 à 3 semaines pour stopper la chaine de contamination. C’est pas parce qu’on ne peut pas fermer les marchés qu’on ne pourra pas trouver des solutions efficaces permettant d’endiguer la propagation du virus. Il suffit juste de mettre à contribution de façon sincère et responsable toutes les forces et toutes les énergies de la nation et on va y arriver. Le Sénégal en est un bon exemple.

Par ailleurs, le président Américain Donald TRUMP décide de suspendre son aide à l’OMS. Ne craignez-vous pas des conséquences négatives surtout pour le continent Africain ?

Je ne peux pas commenter ou expliquer une décision d’un président aussi puissant que le président des USA, mais je comprends l’acte et à sa place j’aurais pris la même décision d’ailleurs.

Les Etats-Unis sont aujourd’hui, le pays qui a enregistré le plus de décès liés à l’épidémie de Covid-19, devant l’Italie, l’Espagne et la France alors qu’ils sont le premier contributeur de l'agence sanitaire, finançant à eux seuls 22% de ces contributions, loin devant la Chine (7,9%), l'Allemagne (6,3%), la France (4,8%) et le Royaume Uni (4,4%). Malgré cette manne financière que l’OMS possède aujourd’hui, elle est incapable de trouver un vaccin contre ce virus. Et portant, financer des recherches pour trouver des remèdes aux maladies, fait partir de ses attributions. Il n’en est rien à ce jour je pense pour le coronavirus. Cela prouve qu’elle n’est ni efficace, ni efficiente. Alors, où est l’intérêt de continuer d’y injecter de l’argent ? Aujourd’hui ce sont les USA qui partent, demain je suis convaincu que çà sera certainement la France ou la Chine qui pliera aussi bagages.

Pour ce qui est de l’Afrique, oui il faut craindre des conséquences de cette décision de TRUMP, puisque jusqu’à présent dans la plus part des pays africains, malgré les indépendances, les dirigeants sont incapables d’y mettre en place un système de santé performant avec des infrastructures sanitaires dignes de nom pour permettre à la population de se faire soigner. Mais c’est le bon moment de retrousser les manches, de se donner la main de façon responsable et approfondir les réflexions pour prendre notre destin en main en mettant en place l’Organisation Africaine de la Sante (OAS) au lieu de continuer à tendre la main. C’est devenu aujourd’hui un rêve de la jeunesse Africaine.  Nous devons avoir honte maintenant. La flore végétale de notre continent est connue pour ses nombreuses plantes médicinales riches en des molécules à haute activités biologiques qu’on pourrait exploiter et mettre en valeur pour soigner et prévenir la majeure partie des maladies pour ne pas dire toutes les maladies. Nous avons le potentiel humain nécessaire pour cela, nous avons juste un manque de volonté et la paresse de réfléchir. Le Madagascar commence à donner la voix avec le « Covid-organic » à base de l’Artémisia, malgré les réserves de l’OMS et certains anti-africains. Je pense qu’il faut qu’on sorte de notre complexe, de notre zone de confort, cesser de se victimiser et accepter de mettre les moyens  dans la recherche scientifique pour trouver une solution africaine à cette maladie. Cette solution Africaine pourrait venir de la phytothérapie, de l’aromathérapie ou de la mycothérapie. Pour moi c’est possible.

Aujourd’hui, selon vous quelle solution pour limiter la propagation de la pandémie en Guinée, mais aussi amoindrir l’impact du Covid-19 sur la sécurité alimentaire ?

Effectivement, si nous ne parvenons pas à stopper les contaminations communautaires d’ici l’hivernage, j’ai peur que le pire n’arrive à notre nation, car l’ennemie en face est capable de s’adapter à toutes les situations et pourra être plus virulent en cette période de pluies. Surtout qu’on assiste aussi à un conflit de compétences entre l’ANSS et son département de tutelle alors qu’on a déjà occupé la tête du peloton en Afrique de l’ouest en termes de nombre de cas positif. Donc, pour limiter la propagation du coronavirus, à mon humble avis, il faut :

Une restructuration profonde et sérieuse de l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire (ANSS) en y mettant des agents compétents, loyaux et responsables qui respectent leur serment d’Hippocrate, qui le considère comme un sacerdoce au lieu d’en faire un serment d’hypocrite comme c’est le cas actuellement. Des agents non mercantilistes qui ont une ambition de vaincre la pandémie et non de vaincre leur pauvreté (évidemment, il faudrait qu’ils aient une rémunération conséquente mais conditionnée avec le résultat, l’efficacité et l’efficience). Cette mesure vous semblera inopportune et illogique à cette phase actuelle, mais pour moi, il n’est pas exclu au coach tant que l’arbitre ne siffle pas la fin du match, d’apporter des changements techniques et tactiques au sein d’une équipe de football qui est en difficulté ou même menée face à l’adversaire. Généralement ça paye toujours.

Développer un modèle de test rapide à la guinéenne : ceci évitera de refouler les gens au CTE de Donka, de rassurer les malades et d’organiser des tests massifs pour la population.

Laisser  travailler librement le conseil scientifique : Il faut permettre au comité scientifique qui vient d’être mis en place (je salue d’ailleurs cette initiative du président) d’apporter une réflexion et des propositions scientifiques à la pandémie et non des raisonnements politiques. La force des autres nations développées, c’est leur capacité à ramener les problèmes quel que soit leur nature dans le jargon scientifique pour en apporter des solutions concrètes et pratiques avant d’en faire une réflexion ou décision politique. Chez nous, généralement c’est l’inverse qui est fait et ça ne paye pas du tout. Par ailleurs, il faut rapidement instaurer un cadre d’échange permanent entre l’ANSS et le conseil scientifique dans le cadre de la lutte contre cette pandémie pour ne pas que ces 2 structures aussi se regarde en chien de faïence et se donne des coups dans le dos. 

Réquisitionner urgemment les hôtels de la place pour pouvoir prendre en charge les personnes testées positives au covid-19. Ceci va permettre d’éviter à ce que certaines personnes fuient les CTE, aller se confondre dans les familles et aggraver la situation.  Mais pour cela, il est primordial d’améliorer en profondeur toute  la chaine  logistique de l’ANSS en y injectant une bonne partie des moyens financiers qui leur sont attribués.

Investir moralement, techniquement et financièrement sur la Nutrition-Santé. Le niveau nutritionnel et les taux de mortalité étant étroitement liés, investir dans la santé-nutrition des populations vulnérables avec une politique de gestion et de suivi sans faille pourrait être une stratégie efficace permettant de réduire le taux de mortalité de maladies tel que le Covid-19.

Quant à l’impact du covid-19 sur la sécuritaire alimentaire, on peut belle et bien l’amoindrir. Pour cela, nous devons d’abord compter sur nos propres moyens et nos propres initiatives, car les pays généreux qui ont l’habitude de nous aider sont aussi frappés de plein fouet par la pandémie. L’Etat doit donc accepter :

La réaffectation d’une bonne partie des ressources financières issues des mines vers les questions agricoles : Ceci permettra de soutenir efficacement le secteur et limiter les dégâts.

Assister les ménages en insécurité alimentaire sévère en créant une banque alimentaire. Une assistance en kits alimentaires à l’endroit de ces ménages s’avère nécessaire pour surmonter les crises ponctuelles et éviter le pire. Une action combinée, concertée et bien réfléchie entre l’Etat, les institutions spécialisées du domaine (FAO, PAM, UNICEF..) ainsi que les ONG locales et internationales évoluant en Guinée pourra permettre de mettre en œuvre cette stratégie dans un bref délai.

Améliorer l’accès aux intrants agricoles dans les zones vulnérables à travers un programme de soutien agricole. Par exemple, la vulgarisation des semences à cycle court permet d’accroitre la production et la disponibilité.

Surveiller les prix dans le marché national: Il est nécessaire de surveiller et de stabiliser les prix des denrées alimentaires de première nécessité. Pour cela, le gouvernement devrait réorganiser le budget de l’état pour renforcer la réglementation du marché et accroitre d’avantage les investissements dans les filières agricoles porteuses et soutenir les entreprises évoluant dans la transformation agro-alimentaire.

Entretien réalisé par Sadjo Diallo