43 ans après son assassinat : Les restes d’une victime du régime Sékou Touré inhumés par ses proches à Kipé
Imprimer
Affichages : 3988

Note utilisateur: 5 / 5

Etoiles activesEtoiles activesEtoiles activesEtoiles activesEtoiles actives
 

43 ans après son assassinat suivi de son enterrement par ses bourreaux, à la rentrée du village de Tokounou, situé   à 110 km de Kankan, Abdoulaye Djibril Barry a été exhumé pour être enterré « dignement et honorablement » dans sa concession familiale située à Kipé, dans la commune de Ratoma. 

Madame Barry NADINE s’est battue pendant 19 ans, pour parvenir à retrouver le tombeau de son mari.  Il faut rappeler que celui-ci avait été arrêté à la frontière guinéo ivoirienne  en 1972, pendant qu’il tentait de fuir. Il fut conduit au camp Soundiata Keita de Kankan. Soumis à interrogatoire musclé, par NEGUE DJOULOU, spécialiste dans la  pose des fils de fer, avant de mettre les électrodes sur ses victimes, puis mortellement blessé, il est mort durant son transfèrement de Kankan vers Conakry.

 Après l’inhumation de son défunt époux, Madame Barry NADINE,  a relaté le parcours de celui-ci. « J’ai pardonné intérieurement puisque je suis chrétienne et le devoir de pardonner, ça a pas été facile. Je sais qui a torturé mon mari. Je sais dans quelles conditions il est mort. Je l’ai suivi jusqu’à Tokounou où il est mort suite à des tortures subies à Kankan. Enterré par un gendarme qui a été ministre et qui est mort maintenant.

Ensuite, le gendarme a été un des 7 gendarmes spécialement détachés de la gendarmerie pour servir auprès de Siaka Touré, commandant du camp de détention. Et ils étaient spécialistes, ces gendarmes là de transfèrement d’un camp à l’autre.  Alors c’est lui qui a été chargé d’accompagner mon mari encore vivant très abîmé au sortir du camp Soundiata Keita. Mais vivant. Il n’a pas pu résister, puisque il devait le transférer à Boiro.

 Il est mort à 110 km de Kankan, à Tokounou,  à l’entrée du village. J’ai retrouvé des témoins, des jeunes enfants qui allaient à l’école qui sont âgés de quarante ans et plus, et que j’ai interrogés. Et le maître de l’école de Tokounou leur avaient donné commission pour le maître de l’école de Nafadji, et en passant sur la piste de Koua Nafadji , ils ont vu des gens en uniforme, qui étaient autour d’un trou dans un véhicule militaire. Ils ont vu un homme qui avait les bras derrières les dos attachés, et les pieds attachés au bras, il était grand, disaient les enfants mais avait l’air de dormir. Probablement parce qu’il avait les yeux fermés.

Après j’ai trouvé la sœur du charbonnier qui les avaient vu creuser le trou, mais de loin en revenant de son champ, elle a attendu, comme ils étaient des gens en uniforme elle ne s’est pas montrée. Mais le lendemain matin, elle est venue voir, il y avait une trace d’une grande tombe. Voilà donc j’ai eu aussi des témoignages à Conakry, de quelqu’un qui avait entendu le militaire chef d’escorte, à l’époque et un autre militaire qui est mort maintenant à petit bateau, ils étaient en train de boire, à l’époque, c’était un endroit où on se cachait pour boire un peu tranquillement. Il les a entendus parler de mon mari et son homonyme qui était gouverneur à Beyla.

 C’est un instituteur qui était de la famille de mon mari. Mon mari a été torturé à Kankan par un comité révolutionnaire et on a dépêché Toumani Sangaré qui était président de ce comité révolutionnaire, et il y avait sept 7 à 8 personnes pour beaucoup de comités. J’ai les noms. Je savais qu’il avait quitté Kankan vivant, mais il est mort à la rentrée du village de Tokounou. J’ai mis du temps à l’apprendre au total 19 ans. J’ai eu dans mon malheur la chance « que mon mari soit isolé, c’est un cas d’isolé, il est mort en cours de route.» J’ai pu localiser l’endroit, et à l’époque j’avais fait le tombeau à Tokounou, et tous les autres sont dans des fosses communes, des charniers parce qu’ils ont été abattus en groupes, soit au mont gangan, soit au Mont Kakoulima, soit à Kankan sur la route de Tokounou à 17 km à gauche, il ya une fosse commune là. Il ya la forêt de Mokono. On a abattu des gens, il ya énormément des charniers dans ce pays, il faut le savoir, on est en train de faire une cartographie des charniers des fosses communes », a – t-elle révélé.

 A noter qu’Abdoulaye Djibril Barry est né le 05 Février 1934 à Timbo dans la préfecture de Mamou. Il a fait ses études secondaires à l’école normale William Ponty  à Sibitocane. Il fut instituteur à Conakry. Diplômé en Sciences Economies en 1963, il fut appelé par Sékou Touré à rentre en Guinée.  Il assumera les fonctions administrateur, de secrétaire général du gouvernement à la présidence de la République, de chef de division de l’Europe de l’Est au ministère de la coopération économique. En 1970, il a été chef de cabinet au Ministère des Affaires extérieures. Cumulativement avec ses fonctions, il faisait partie du collège administratif des avocats défenseurs et de la commission de censure cinématographique.

 Après le débarquement guinéo-portugais en novembre 1970 et l’échec de la tentative extérieure de renversement du régime, Sékou Touré et son parti organisent une épuration massive de la population chez les hauts fonctionnaires. La vie quotidienne devenant impossible pour Barry et son épouse et leurs 4 enfants ; ils décident de s’exiler mais après le départ de Nadine et ses enfants pour la France, sous couvert d’une intervention chirurgicale à faire pratiquer sur le dernier né, la police secrète guinéenne surveille de près Barry.

 Après plusieurs essaies manqués de dépars officiels à la faveur d’une mission à l’étranger Barry, tentera un départ clandestin par la frontière Guinéo- Ivoirienne. Dénoncé, il sera arrêté le 29 août 1972 en Côte d’Ivoire par des miliciens guinéens puis interroger et torturer par le comité révolutionnaire de Beyla et de Kankan. Emprisonné à Kankan jusqu’au 06 Septembre, il quittera ce camp sous escorte sur l’ordre de Siaka Touré pour être prétendument transféré au camp Boiro à Conakry où il n’arrivera jamais.

Cet itinéraire a été retracé dans le bouquin intitulé « Hommes et destins », dans le Tome 9, de l’Afrique Noir, une publication de l’académie des sciences d’outre-mer datée de 1989.

 Alpha Amadou Diallo.

Publié en Dans le journal Independent (en 2015)