Le pays semble aujourd'hui suspendu à un fil. Après la nomination de Mohammed al-Bachir comme Premier ministre par le groupe Hayat Tahrir al-Sham, il est dans l’attente de la composition de son gouvernement de transition, représentant ou non la pluralité du peuple syrien. Parmi les grands défis de l’équipe, la mise en œuvre d’un processus de justice transitionnelle.
Si le groupe Hayat Tahrir al-Sham a déclenché et mené l’offensive jusqu’à Damas, sa réussite tient aussi à l’union des forces rebelles issues de différentes régions et communautés du pays. Ensemble, elles ont réussi à refermer l’étau autour de Damas. Une fois le dictateur tombé, chacun fait face à ses propres blessures du passé.
L'urgence est donc d'éviter que des actes de vengeance ne soient l'étincelle d'une guerre civile. « Ces derniers jours, il y a eu des actes de vengeances que nous essayons de documenter », relève Nour Salam. La jeune femme travaille pour l’ONG syrienne Baytna qui tente de construire un dialogue intercommunautaire dans tout le pays. « Ces phénomènes sont naturels dans ce contexte, mais ce qui est important, c'est d’éviter que cela s’étende et dégénère en un conflit plus important. Pendant les années de la révolution, nous, les organisations de la société civile ici en Syrie, n’avons jamais cessé de travailler sur la question de l’identité syrienne inclusive. Pour ma part, je ne suis pas pessimiste, mais je ressens qu’il reste encore beaucoup à faire pour mettre en œuvre tout ce sur quoi nous avons travaillé ces dernières années. »
Nour Salam habite dans la ville de Soueïda dans le sud du pays. C’est le fief de la communauté druze, une minorité victime notamment d’exactions commises par les islamistes, mais aussi une grande ville protestataire contre le régime.
Justice transitionnelle
« Il va falloir juger les criminels de tous les camps, rappelle l’avocat syrien Anwar al-Bunni. Car des crimes ont été commis par des forces issues de différentes communautés. Il y a le parti Baas bien sûr, mais aussi les islamistes, dont Hayat Tahrir al-Sham ou les Kurdes des Forces démocratiques syriennes [FDS, NDLR] par exemple. » Les FDS, à majorité kurdes, sont accusées d’exactions contre des familles arabes qui refusaient de se soumettre à leur autorité dans la région du Nord-Est syrien.
De nombreuses voix de la société civile appellent à s’en remettre au processus de justice transitionnelle prévue par le droit international. « Il y a des règles à suivre, explique Anwar al-Bunni. Il faut chercher à comprendre qui a commis des crimes sous la pression, pour se défendre ou pour faire avancer ses intérêts. D’autre part, tous les membres du parti Baas de Bachar el-Assad ne sont pas tous des criminels, par exemple. Ce processus, c'est le premier pas vers une Syrie libre et démocratique. »
« Ce qui est très important, c’est de collecter et préserver les preuves et les documents, ajoute Volker Türk, Haut-Commissaire de l’ONU aux Droits de l’Homme. J’espère que le nouveau gouvernement de transition va nous permettre de faire notre travail sur place avec toutes les autres commissions d’enquête. »
« Il faut que Hayat Tahrir al-Sham partage l’autorité »
Le travail de justice et la mise en place d’un État de droit dépendra beaucoup du gouvernement que devrait annoncer le nouveau Premier ministre de transition Mohammed al-Bachir. Il est l’ancien chef du gouvernement de la région d'Idleb tenue par Hayat Tahrir al-Sham. Ce technocrate s’affiche donc dans la lignée du groupe islamiste, mais reste à savoir de quelle personnalité syrienne il saura s’entourer. « Il faut que Hayat Tahrir al-Sham partage l’autorité pour représenter tout le monde, kurdes, arabes, chrétiens, alaouites, druzes, revendique Anwar al-Bunni. Pour l'heure, la voix appartient toujours aux armes. Personne n'écoute la société civile. Il y a bien sûr d'autres groupes qui ont du pouvoir, mais nous ne voulons pas pousser le pays dans une nouvelle guerre entre Syriens. »
Le défenseur des droits de l’homme réfugié en Allemagne s’est concentré sur la traque des criminels de guerre syriens en Europe. En attendant de participer au processus de justice en Syrie, il tente actuellement de pister les hommes du régime qui ont disparu ces derniers jours : « Tôt ou tard, ils réapparaitront et sûrement en Europe. Ce jour-là, nous pourrons les poursuivre devant les cours européennes. »
Rfi