De retour d'une mission d'enquête menée au Burundi au mois de mars, la FIDH et ITEKA dénoncent les graves violations des droits humains perpétrées au Burundi, en particulier par les forces de défense et de sécurité, sur fond d’idéologie ethnique et génocidaire. Les crimes actuellement commis pourraient d'ores et déjà être qualifiés de crimes contre l’humanité et et dériver vers des actes de génocide Elles exigent une réaction forte de l'ONU, notamment par le déploiement de forces onusiennes et d'une commission d’enquête international pour enrayer cette dynamique et éviter des atrocités de masse.
Depuis avril 2015, le bilan de la répression serait de 700 personnes tuées, 4 300 détenues, plusieurs centaines de personnes disparues, certaines sources évoquant le nombre de 800, des centaines de personnes torturées, plusieurs dizaines de femmes victimes de violences sexuelles, et des milliers d’arrestations. 250 000 personnes ont déjà fuit le pays.
Alors que le Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki Moon, doit présenter avant le 15 avril des options pour le déploiement d’éléments de l’ONU, la FIDH et ITEKA appellent la communauté internationale, et notamment le Conseil de sécurité des Nations unies, à déployer une force de police internationale d'au moins 500 hommes capable de protéger les civils, d'enrayer les dynamiques meurtrières et d'éviter que de nouveaux affrontements armés aient lieu au Burundi. Nos organisations considèrent enfin que si les dynamiques à l’oeuvre ne sont pas enrayées dans les prochains mois, une force d’imposition de la paix de l’Union africaine et/ou des Nations unies sera nécessaire pour stopper une escalade de la violence et une répression aux logiques de plus en plus génocidaires.
Au cours de sa mission qui fera l’objet d’un rapport à paraître, la délégation de la FIDH a documenté et constaté la poursuite des assassinats ciblés et des exécutions extra-judiciaires ; des arrestations et détentions arbitraires quotidiennes ; de la multiplication des disparitions forcées et des lieux de détention illégaux et des actes torture. La FIDH a également pu constater le fort niveau de surveillance et de contrôle de la société burundaise par les organes de sécurité, notamment le très actif Service national de renseignement (SNR) et les milices des jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure1.
« La situation sur le terrain est particulièrement inquiétante. Le SNR,devenu l'organe moteur de la répression, a infiltré toutes les couches de la société et torture de façon systématique les détenus. Des chaînes de commandement parallèles ont été établies au sein des forces de sécurité pour orchestrer la répression. Une partie des milices Imbonerakure est entraînée, armée, déployée sur l’ensemble du territoire et agit en supplétif des forces de l'ordre. Les tensions au sein de l'armée sont extrêmement vives. La communauté internationale doit tout faire pour protéger les civils et éviter que la situation ne dégénère », a déclaré Karim Lahidji, président de la FIDH. « La nature des crimes constatées lors de la mission pourrait relever de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI). La Procureure, Mme Fatou Bensouda, devrait décider l’ouverture à tout le moins d’un examen préliminaire sur la situation au Burundi qui, rappellons-le, est un État partie à la CPI » a-t-il ajouté.
Les éléments recueillis par la FIDH et ITEKA permettent notamment d'établir que les Tutsis apparaissent particulièrement visés par les violences et assimilés à des opposants au régime du fait de leur appartenance ethnique. Ils sont davantage ciblés lors des arrestations, sont l'objet d'insultes à caractère ethnique de la part des forces de sécurité et sont systématiquement torturés au cours de leur détention. Les membres du parti au pouvoir CNDD-FDD et leurs partisans se réfèrent de plus en plus ouvertement aux Tustis comme des « ennemis », des « terroristes » et à une « insurrection génocidaire ».2 Depuis l'assassinat le 22 mars 2016 du Lieutenant-colonel Darius Ikurakure3, pilier du système répressif burundais, les assassinats ciblés de militaires appartenant aux ex-Forces Armées Burundaises – FAB – (composées majoritairement de Tutsis) se sont également multipliés.
D'après les informations recueillies par la FIDH et ITEKA, plus de dix ex-FAB ont trouvé la mort dans des attaques menées par des hommes non identifiés depuis le début du mois de mars. Ces éléments s'inscrivent dans un contexte marqué par le développement d'une rhétorique de plus en plus ouvertement ethnique de la part des autorités burundaises et de leurs partisans. La veille de l’enterrement du Lieutenant-Colonel Darius Ikurakure, des messages circulaient sur les réseaux sociaux, notamment un : « Chers HUTU, réveillez-vous ! Demain nous allons enterrer un autre héros de la lutte anti tutsi, son excellence Lit Général Darius Ikurakure. Les Officiers et civils HUTU conscients viendront lui dire merci pour ton travail. Venez nombreux et soyez vigilants et comme rappel un héros ne doit pas mourir seul, za mujeri sindumja muzincunge bibaye ngombwa mukore. Delende is Mike. [surveillez ces chiens amaigris, je ne suis pas esclave, s’il le faut travaillez]. A bon entendeur salut ! KORA[Travaillez] ». Ce message fait notamment référence au terme « travailler » utilisé au Rwanda par le gouvernement génocidaire Hutu Power pour appeler à l’élimination systématique des Tutsis, mais également utilisé le 1er novembre 2015 par le président du Sénat burundais, Révérien Ndikuriyo, devant ses partisans et des Imbonerakure : « Si vous entendez le signal avec une consigne que ça doit se terminer, les émotions et les pleurs n’auront plus de place ! » avant d’ajouter « vous devez pulvériser, vous devez exterminer ces gens (…) Attendez le jour où l’on dira « travaillez », vous verrez la différence ! », lors d’une conversation qui n’était pas destinée à être enregistrée.
Les organes de sécurité de la police ou de l’armée en pointe dans la répression sont eux-mêmes composés d’éléments considérés comme fiables et pouvant « aller jusqu’au bout» selon les termes d’une source proche des services de sécurité. « Ce sont à plus de 95 % des Hutus » ajoute-t-elle. Cette dizaine d’unités parmi lesquelles le SNR, la Brigade anti-émeute (BAE), la brigade spéciale de protection des institutions (BSPI), l’Agence de protection des institutions (API), le Bataillon génie des combats (BGC) ou encore le Groupement mobile d’intervention rapide (GMIR) et la Police spéciale de recherche (PSR) est dirigée par des fidèles du régime aux moyens de chaînes de commandements parallèles qui remonteraient directement à la présidence de la république, notamment au cabinet civil. Ces responsables de la répression pourraient être directement incriminés pour des crimes commis directement ou sous leur autorité et devraient faire l’objet de poursuites pénales et de sanctions individuelles respectivement par les institutions internationales et les diplomaties influentes.
« La FIDH et ITEKA sont très inquiètes du caractère ethnique que prend la répression depuis quelques mois ainsi que de la rhétorique autoritaire, complotiste et de répression préventive utilisée par les autorités en place ainsi que leurs partisans et rappelant celle invoquée lors des massacres anti-hutus à caractère génocidaire des 40 dernières années. Les autorités considèrent qu’elles sont les représentantes uniques du peuple et renvoient tout pluralisme politique, ethnique et social à un « eux » contre « nous », mortifère pour le pays. Nous appelons solennellement les autorités burundaises à sauver la paix issue des accords d’Arusha en stoppant la répression, en libérant les milliers de personnes détenues pour des raisons politiques et en participant à un dialogue honnête avec l’opposition et la société civile indépendante » a exhorté Anschaire Nikoyagize, président de ITEKA.
En réaction aux exactions du régime, de nombreux hommes sont venus grossir les rangs des groupes armés rebelles (Red Tabara et FOREBU). Ils mènent des attaques ciblées contre des représentants du CNDD-FDD, des membres des forces de l'ordre et des Imbonerakure à Bujumbura et en province, faisant parfois des victimes civiles. Nos organisations rappellent que les attaques indiscriminées contre les civils peuvent constituer des crimes de guerre dont les auteurs seront appelés à rendre des comptes devant la justice.
Par ailleurs, le travail de documentation de ces violations est devenu extrêmement périlleux. Les défenseurs des droits humains, les opposants et les journalistes indépendants toujours présents au Burundi vivent pour la plupart dans la clandestinité et sont l'objet de filatures et de menaces de mort. La quasi-totalité des responsables de la société civile, des journalistes et des partis d’opposition a été forcée de fuir le pays et ceux qui restent, responsables ou militants, continuent d'être l'objet de menaces voire d'attaques par des hommes soupçonnés d'être à la solde du régime, notamment des Imbonerakure.
La disparition de Marie-Claudette Kwizera, trésorière de la ligue ITEKA, depuis son arrestation par des éléments du SNR le 10 décembre 2015 illustre un phénomène inquiétant qui se compterait en centaines de cas. Certains sources font état d'au moins 800 disparitions forcées. La documentation de ces disparitions est rendue plus difficile par la multiplication des lieux de détention illégaux. Les autorités burundaises ainsi que la Commission nationale indépendante des droits de l’Homme (CNIDH) sollicitées par la FIDH sur le cas de Marie-Claudette Kwizera et sur les autres cas de disparitions forcées ont été incapables de donner des explications ou des informations sur le sort de ces personnes qui ne sont ni réfugiées, ni officiellement détenues.
« Face au risque d'une nouvelle guerre civile et la perpétration de crimes de masse, nos organisations exhortent la communauté internationale à ce qu'une force de police internationale soit déployée dans le pays pour garantir la protection des civiles et oeuvrer pour la tenue d’un dialogue politique inclusif dans les plus brefs délais. En outre, nous demandons au Conseil de Sécurité de mandater une commission d'enquête internationale indépendante sur les crimes perpétrés depuis avril 2015», a déclaré Dismas Kitenge, vice-président de la FIDH.
Le 1er avril 2016, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la résolution 2279 exhortant toutes les parties à la crise à s'accorder sur un chronogramme des négociations. Elle demande également au Secrétaire général des Nations unies, de présenter avant le 15 avril au Conseil de sécurité des « options » pour le déploiement d'une force de police internationale. Au regard de la situation sécuritaire et des droits humains qui prévaut dans le pays, la FIDH et ITEKA exhortent les Nations unies à s'assurer que cette force ait le mandat et les moyens nécessaires pour jouer un rôle stabilisateur, de dissuasion et de surveillance et d'intervenir dans le cas où des violations graves des droits humains seraient commises.
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La FIDH est une ONG internationale de défense des droits humains qui fédère 178 organisations dans près de 120 pays. Depuis 1922, la FIDH est engagée dans la défense de tous les droits civiques, politiques, économiques, sociaux et culturels tels que définis dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. La FIDH a son siège à Paris et des bureaux à Abidjan, Bamako, Bruxelles, Conakry, Genève, La Haye, New-York, Pretoria et Tunis.