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Mamadou Dian Baldé, journaliste et éditorialiste est loin de ceux qui applaudissent des deux mains le bilan du Premier ministre Ibrahima Kassory Fofana. Bilan qu’il qualifie de mitigé. Le coup de théâtre provoqué par la démission du garde des sceaux,  Me Cheick Sako  et la « cinglante » réplique apportée par le Front à la sortie de Kassory, sont à lire aussi dans cette chronique hebdomadaire « croustillante »  de notre confrère.

Talibé Barry: Bonjour Mamadou Dian. Un pan de votre chronique de cette semaine est consacré au bilan de l’an un de Kassory Fofana. Un bilan que vous qualifié de mitigé ?  

Mamadou Dian Baldé : Le Premier ministre Kassory Fofana s’arroge d’un bilan élogieux qu’il a longuement vanté lors de sa conférence de presse de mercredi. Le discours auto satisfait du locataire du palais de la colombe n’a fait qu’assoir la conviction d’une bonne frange de l’opinion sur le caractère infatué du personnage. Pour un bilan pourtant mi- chèvre mi- chou.

Avec un passé qui ne plaide pas toujours en sa faveur, Kassory  a dû virer de bord, pour se faire nommer au poste de Premier ministre.  

Et comme on a pu le constater, après un an de gestion, le Premier ministre donne l’air de se complaire dans ses fonctions. Comme il l’a démontré lors de la présentation de son bilan, qualifiée d’ailleurs par certains observateurs de tour de passe-passe. Usant  d’un langage pas franc du collier.

Quand on sait qu’il n’a pas répondu aux attentes de la feuille de route qui lui a été confiée par le chef de l’État. Ne serait-ce qu’en prenant le cas du dialogue politique et social, qui s’est soldé par un échec. Avec le durcissement du régime, qui a préféré interdire les manifestations et installer des PA dans des zones favorables à l’opposition. En lieu et place de toute idée de dialogue inclusif.

Pour justifier ce tour de vis sécuritaire, le PM soutient que cet « environnement apaisé  a profité à la relance du programme économique et financier de la Guinée avec les institutions de Bretton Woods. Et qu’aujourd’hui, le taux moyen annuel de croissance est à deux chiffres sur la période 2016-2018, et se situe à 10,2%. »

Une prouesse mise sur le compte « d’une gouvernance économique et financière saine, marquée par une stabilité des indicateurs macroéconomiques, une amélioration constante de l’environnement des affaires et un bon niveau de mise en œuvre du Plan National de Développement Economique et Social 2016-2020 », selon Kassory. Encore que cette croissance est loin d’être inclusive.

La pirouette du PM est destinée à masquer sans doute  les maigres résultats  enregistrés dans la moralisation de l’administration publique qui doit passer impérativement par la lutte contre la corruption et l’impunité.  

Car à part l’emprisonnement de l’ancien directeur général de l’Office guinéen de publicité (OGP) Paul Moussa Diawara, les autres prévenus coulent des jours heureux avec l’argent du contribuable. Enhardis par cette impunité ambiante, les gestionnaires de la chose publique n’hésitent pas à confondre l’argent public avec leurs avoirs personnels.

Ce qui fait dire à maints observateurs que  ce  sont des menus fretins qui seraient sacrifiés sur l’autel de cette pseudo-opération main propre.

Kassory a même reconnu avoir une marge de manœuvre très étroite  dans sa croisade contre les bandits à col blanc. Un aveu d’impuissance qui ne fait que renforcer l’opinion de ceux qui ont toujours pointé le manque  de  volonté politique du pouvoir d’éradiquer le fléau.

Vu que la mise en place « d’un cadre institutionnel structuré et renforcé en matière de lutte contre la corruption. Et des corps de contrôle à travers l’inspection d’Etat, l’inspection des finances et des ministères sectoriels ont été réactivés », à elle seule ne suffirait pas à freiner le phénomène. 

On ne le dira donc jamais assez, la corruption est et demeure le talon d’Achille de notre système de gouvernance.

Le Premier ministre joue les  porte-flingues du président

Pour vous le Premier ministre est dans une logique jusqu’auboutiste dans son soutien au projet de troisième mandat ?  

Le Premier ministre a profité de sa conférence de presse pour lever l’équivoque sur la position de son gouvernement par rapport  à ce fameux projet de changement constitutionnel qui déchaîne les passions. Et comme il fallait s’y attendre, Ibrahima Kassory n’a pas fait dans la langue de bois pour annoncer les couleurs en faveur d’un changement constitutionnel.

« En tant que citoyen je dis oui, en tant que gouvernant je dis oui. Je dis doublement oui». Telle est l’élément de langage employé par  le Premier ministre pour exprimer sa détermination à soutenir le projet. Dans cette foulée, il dit n’avoir entendu aucune voix dissonante au sein de son équipe, concernant le changement constitutionnel en vue. A part bien sûr celle du franc-tireur  Me Cheick Sako.

Le PM a essayé de battre en brèche l’argument avancé par Cheick Sako pour son départ du gouvernement. Dans la missive adressée au président à cet effet, l’ancien garde des sceaux dit avoir jeté l’éponge parce que n’étant pas favorable à une révision de la constitution. Projet dont il affirme n’avoir d’ailleurs pas été associé à la rédaction.

Pour Kassory, il ne peut s’agir que de raison personnelle. Étant donné qu’aucune mouture de la nouvelle loi fondamentale n’a été pour le moment concoctée. C’est donc sa parole contre celle de l’ancien ministre de la Justice.

Mais que pourrait valoir la parole publique, sinon que tripette. Dans un pays comme le nôtre, où tout se gère selon les bons vouloirs du Prince.

Me Cheick Sako s’en tire les braies nettes

Quant à  la démission du ministre de la Justice Me Cheick Sako pour incompatibilité d’humeur avec le chef de l’État, vous écrivez qu’il s’en tire les braies nettes?

Me Cheick Sako qui n’a pas voulu s’associer au projet de tripatouillage constitutionnel, a rendu le tablier. Une démission qui a provoqué une onde de choc dans l’opinion. Et dont on n’a pas fini de cerner tous les contours, tant ce fut un véritable coup de bambou. On s’attendait à tout sauf à la démission de ce ministre qui est doté d’un tempérament flegmatique et donc prompt à s’accommoder à toutes les situations.

Surtout qu’il faisait partie du cercle des intimes  du président de la République, qu’il connait de longue date d’ailleurs, depuis les bords de la Seine.

Mais le garde des sceaux a choisi de partir, pour retrouver les siens du côté de Montpellier. Une décision qui a dû être un grand crève-cœur pour Sako. Même si au final, vu tous ces hourras qui ont salué cette démission, notamment dans le camp adverse, on peut estimer que le ministre s’en tire les braies nettes.

Dans un pays où l’on souffre d’amnésie, il suffit de trouver son chemin de Damas, pour que le passé sulfureux d’une personnalité tombe dans les oubliettes. C’est le cas pour Me Cheick Sako, salué aujourd’hui en héros, même par les opposants les plus irréductibles. Celui qui, pourtant était voué aux gémonies, pour les ratés enregistrés dans sa gestion de l’appareil judiciaire. Quand on sait que notre justice n’a jamais voulu faire la lumière sur la centaine d’opposants tués lors des manifestations de rue de ces dernières années. Et Sako n’a jamais eu même une once de regret pour toutes ces victimes. C’est aussi ça une des tristes réalités de la Guinée, qui a tout d’un océan d’impunité.      

Le Front dans un bras de fer jusqu’au boutiste

Le Front pour la défense de la constitution ne veut pas rendre les armes, face aux velléités du pouvoir. Pour vous Mamadou Dian, il s’agit désormais d’un bras de fer jusqu’au boutiste ?

A mesure que le pouvoir étale ses ambitions pour un changement constitutionnel, le Front national pour la défense de la constitution s’affermit dans sa résolution de combattre ces velléités. C’est dans cette optique qu’elle a dressé une première liste des promoteurs d’un troisième mandat pour Alpha Condé. Cette première fournée comporte des noms de membres du gouvernement ainsi que de dirigeants de quelques régies financières. Le FNDC menace de balancer la liste à la Cour pénale internationale (CPI).

A noter que toutes ces personnalités ont en commun de profiter d’une rente de situation sous le magistère d’Alpha Condé.     

Le FNDC qui semble s’inscrire dans une logique de bras de fer jusqu’au-boutiste face aux velléités du pouvoir, a attiré également l’attention de la communauté internationale sur ce qui se joue en ce moment en Guinée. Avant que le pays ne bascule dans une situation incontrôlable.

Elle ne veut nullement donner l’impression de mener un combat d’arrière-garde. Face aux velléités de l’exécutif.

C’est ainsi qu’on a constaté qu’au lieu de les dissuader, le tour de vis sécuritaire du gouvernement semble les avoir galvanisés. C’est du moins ce que démontrent ses propos de Aliou Bah du Modem, qui dit je cite : « nous avons tous remarqué dans la communication du premier ministre, encore des menaces par rapport au droit de manifester. Le FNDC ne se sent pas dérangé encore moins concerné par des menaces qui violent systématiquement notre Constitution. Le droit de manifester est un droit qui a été obtenu à travers de hautes luttes. Alpha Condé qui est au pouvoir, a aussi participé à cette lutte. Une décision ministérielle ne peut pas remettre en cause ce que la Constitution a accordé à nos citoyens ».

Dans la même veine, l’opposant lance un appel à ses compatriotes afin qu’ils  ‘’se lèvent comme un seul homme, pour défendre les acquis démocratiques. L’alternance étant le sujet de la démocratie, il n’y a pas besoin de l’étouffer’’, selon lui.

De leur côté, les promoteurs de la continuité du régime, tout en condamnant la démarche du FNDC,  considèrent les manœuvres du Front comme un combat d’arrière-garde.  Comme si les jeux étaient faits.  

Mamadou Dian Baldé

Journaliste et éditorialiste