Dans un entretien accordé à nos confrères de la radio Espace Fm, l’ancien ministre de la Citoyenneté a donné sa lecture de la lutte contre le coronavirus en Guinée. Par ailleurs, Khalifa Gassama Diaby s’est exprimé sur la rentrée inaugurale de la neuvième législature.
Vous savez bien que l’actualité est dominée par le covid-19, votre analyse globalement sur cette crise sanitaire à laquelle notre pays est confronté…
Je pense que si Lamine me permet je me joins aux analyses de Tamba et de Zack Lewa Léno. Je crois que quand on a une certaine responsabilité la parole est du présent ; évidemment il faut parler pour être utile à quelque chose, si on ne sent pas sa parole utile, ce n’est pas nécessaire de s’exprimer. Pour ce qui est de la crise, je voudrais que qu’on comprenne bien. Comme toujours toute crise est révélatrice pour quelque chose, elle est aussi annonciatrice de quelque chose.
Je vous ai suivi ces derniers temps et je crois que ces aspects sont revenus assez souvent et je les partage. Dans ce sens, sur cette pandémie, où notre pays ne fait ni taire nos problèmes ni les faire disparaitre, au contraire dans ces manifestations, cette pandémie sanitaire est l’autre nom de nos défaillances diverses et multiples. Ce qui se passe avec cette crise, elle révèle quoi ? Elle est bien entendu la faillite des Etats et cela va au-delà de notre pays. On a vu les Etats les plus sérieux, les plus préparés les plus avancés se retrouver pris de coup face à cette crise sanitaire.
Quand serait-il les Etats les moins sérieux, les moins rigoureux, qui ont moins de logiciels humains, techniques et financier ? donc de ce point de vue-là, nous sommes dans une situation mondiale ou les Etats se sont retrouver face à quelque chose qu’ils n’ont pas prévu, qu’ils n’ont pas préparé. Et cela a coïncidé avec les sans investissement massif dans le secteur de la santé, dans le secteur de la lutte contre la pauvreté mais bien entendu dans bien d’autres secteurs et donc de ce point de vue-là, cette crise nous devons la regarder aussi comme étant quelque chose qui nous annonce le monde de demain, qui nous annonce au-delà de litanie idéologique, libérale et que les sociétés ont besoin des Etats qui les protègent, des Etats qui prévoient ce qui peut advenir demain et que les sociétés ont besoin de système de santé qui soit solide et qui soit là pour protéger leurs citoyens.
Et que nous avons besoin des sociétés qui a un système éducatif performant qui puissent nous garantir l’existence des médecins, des épidémiologistes des sociologues, des techniciens, des biologistes, et évidemment une litanie de catégories socio-professionnelles qui peuvent permettre de protéger les sociétés.
Mais il y a quelque chose au-delà et qui nous retombe, nous, sur la face : cela la pauvreté. Vous avez vu la plupart des Etats Africains, qu’est-ce qu’ils ont annoncé face
à cette crise quand on a confiné près de 4 milliards de personnes dans le monde, ce n’est jamais arrivée dans l’histoire moderne. Et qu’est-ce que nos sociétés africaines disent ? On ne peut pas parce que nos citoyens vivent de jour le jour … ça veut dire qu’est-ce que vous avez fait pour sortir ces citoyens de la pauvreté si on était à un niveau, aujourd’hui on pouvait confiner nos compatriotes pour permettre de juguler le mieux cette situation.
Donc cette crise, elle dévoile les réalités qui étaient cachées, elle nous refasse à des réalités crus et il faut profite de cette situation, parce que là on est face à deux défis, on est face à une crise immédiate qu’il faut régler : c’est-à-dire il faut protéger nos concitoyens, il faut prévenir, il faut faire une campagne de sensibilisation, il faut être en capacité de soigner ceux-qui sont dans le besoin.
Au-delà, il ne faudrait pas qu’on se perdre de vue de cela et c’est essentiel, au-delà de cette crise nous aurons demain et demain tout proche, nous aurons à faire à des conséquences politiques, économiques et sociales de cette crise immense. Il ne faudrait pas qu’on attende, il faut comme on a l’habitude de le faire, tendre la main, il faut que nos Etats africains particulièrement notre pays nous apprenions cette rigueur et que nous nous préparions pour demain, parce qu’on ne peut pas continuer à tendre la main à des pays qui ont eux aussi d’autres responsabilités.
Vous parlez de conséquences à prévoir sur le plan politique et économique. Déjà quelle lecture vous faite de la gestion actuelle ? Depuis que la pandémie s’est déclarée dans notre pays, comment est-ce que vous appréciez la gestion sur le plan sanitaire d’abord mais ensuite sur le plan politique par le gouvernement ?
Comme on le dit très souvent, ce n’est pas le jour de la compétion de nage qu’on apprend à nager. Nous sommes là, il y a une crise et nous faisons avec les moyens que nous avons. La réalité c’est quoi ? Et ce n’est pas une question de politique politicien, ça ne date pas d’aujourd’hui, ça date des dizaines et de dizaines d’années dans ce pays. Qu’est-ce qu’il faut voir en face ? La vérité en face c’est quoi ? Ce que nous avons un Etat qui n’est plus sérieux. Et ce n’est pas une question de volonté, personne ne peut mettre en doute aujourd’hui la volonté et du collège médical et du gouvernement de vouloir protéger les Guinéens ; seulement pour moi le problème, ça ne se résume pas par une question de volonté. Il faut en avoir le logiciel, ce logiciel c’est quoi en fait ? Le bras armé d’un Etat, c’est une administration
Nous avons fait quoi dans ce pays depuis l’indépendance, depuis 30 ans, 40 ans nous avons fait quoi de l’administration ? Nous n’avons fait que politiser l’administration, nous avons haï le savoir, nous avons haï ceux qui savent bien faire, nous avons haï l’excellence, nous avons haï la rigueur, nous avons mis en place une administration des courtisans, de démagogues qui ne travaillent pas. Alors quand on est en face de cette crise aujourd’hui, quel que soit la volonté dont on ne peut pas mettre en doute l’existence, quel que soit la volonté, on ne pourra qu’à avec ce qu’on a.
Alors ce que je conseille, au lieu de rentrer dans le détail, moi, je ne suis pas un médecin, je ne peux pas donner des avis médicaux là-dessus, mais ce qu’on peut faire et ce que je peux conseiller ceux qui nous gouvernent, ceux qui nous dirigent arrêtent de tâtonner et fassent des choix clairs, parce que de toute façon on ne peut faire qu’avec, on n’a pas de logiciel humain, on écarte souvent ceux qui savent faire. Alors il faut qu’on tire les leçons de cette crise et que ce pays apprenne le sérieux, il apprenne la rigueur, que nous apprenons à mettre les gens, là où il faut, là où ils peuvent être utiles et à la politique du gouvernement et à la protection de la société guinéenne.
Vous dites qu’on n’a pas de logiciel humain pour ça, ceux qui peuvent faire sont écartés, mais concrètement quelle approche vous souhaitez ou suggérez pour corriger cette situation ? Est-ce qu’il faut exiger cette ouverture à laquelle vous plaidez ce matin et par quel mécanisme quand on sait que c’est bloqué au niveau supérieur, ou est-ce qu’il faut faire appel à des ressources extérieures ?
Ecoutez ! Ce n’est pas pendant la guerre qu’on change de méthode. Nous sommes en guerre contre un ennemi invisible, ce que nous devons faire aujourd’hui, d’abord c’est de briser les chaines. Nous avons dans notre pays peut être pas nombreux, mais nous avons des compétences. Il faut sortir de la classification des gens : tel est avec moi, tel est avec moi. Nous sommes dans un monde médical où en Guinée quelqu’un l’a dit tout à l’heure sur l’antenne ‘’nous avons des médecins expérimentés dans ce pays qui sont à la retraite’’
Je crois aussi qu’il faut prioriser la capacité du ministère de tutelle, le ministère de la Santé qui a des capacités essentielles et qui sait la réalité sanitaire du pays et nos capacités en termes de ressources humaines. Le ministère de la Santé doit être le socle sans rentrer dans la polémique de querelles des personnes, ça ne vous fait pas avancer.
Mais vous savez que ça existe, on parle de l’ANSS entre autre avec le ministre de la santé ?
Oui bien entendu, c’est une culture dans notre pays, les querelles des personnes. C’est une crise sanitaire qui doit être piloté sous tutelle du ministère de la Santé. Je vais vous donner un exemple : la plupart des pays au monde, la structuration de politique de gestion de cette crise, elle est simple : c’est le ministère de la Santé et c’est le comité scientifique. Il se trouve que chez nous, on a l’ANSS, je n’ai rien contre l’ANSS, il faut éviter parce qu’on est en train de dépenser de l’énergie dans des querelles futiles, pendant que nos compatriotes ont peur, ils sont paniqués, ils ne savent pas à quel saint se vouer.
Donc pour résumer ce qu’il faut faire, je crois que si on a une meilleure organisation et qu’on demande au ministère de la Santé de faire appel à toutes les compétences, qui sont actuellement en exercice ou qui sont partis sans se poser la question, de qui est avec moi et de qui n’est pas avec moi ? Qui a fait quoi et qui n’a pas fait quoi ? Ceux dont les Guinéens ont besoins aujourd’hui : c’est d’être protégé, c’est d’être rassuré. Et de ce point de vue-là, il faut en appeler à toutes les compétences, et il y en a en Guinée.
Bien sûr il faut sortir de cette verticalité, tout ne se passe pas à Conakry. La Guinée ne se limite pas à Conakry, il faut qu’on ait une capacité d’organisation pour faire un maillage pour l’ensemble du territoire national. Depuis la nuit des temps, face à la pandémie, il y a une seule politique : c’est de diagnostiquer, isoler et traiter ceux qui en ont besoin, on ne va pas inventer les choses.
Lorsque vous étiez en fonction et que vous faisiez des propositions qui n’allaient pas dans les sens de ceux qu’on avait coutume de faire en Guinée, on disait : laisser-le c’est un toubabou. Aujourd’hui on continue de murmurer que vous êtes très proche de la France, des occidentaux. Aujourd’hui la France fait partie de ces partenaires qui sont un peu critiqués par rapport à son implication dans les affaires internes de la Guinée. Quel regard vous portez sur ces critiques, et également des critiques qui vous font passés comme étant un pion de l’Hexagone en Guinée ?
Je pense que la situation dans notre pays est suffisamment grave pour s’adonner à ce genre de remarque et de commentaire. Je vais vous dire ceci : moi, je ne sais pas ce qu’on appelle proche de la France et autre. La France est une grande nation, c’est un grand pays, une grande démocratie. C’est un pays que je connais que j’ai connue, mais je vais vous dire ceci à nos compatriotes : il faut arrêter de trouver des coupables à nos irresponsabilités internes. En Guinée à chaque fois qu’il se passe quelque chose, il faut trouver un coupable extérieur : lundi on tape sur la France ; mardi on lui tend la main ; mercredi on lui tape dessus. Je crois que la bataille on revient toujours sur les mêmes querelles coloniales et autre. Je crois que ce dossier, on en fait ce qu’il n’en est. La communisation étant un crime, la France d’aujourd’hui n’est pas la France de la Colonisation.
Nous sommes dans un pays qui fait partie d’un ensemble international et nous avons souscrit un certain nombre d’engagement internationaux, comme la France et nous avons des responsabilités vis-à-vis de la communauté internationale. Nous ne pouvons pas estimer que nous pouvons faire chez nous ce qu’on veut et que personne à l’extérieur ne peut donner son avis là-dessus. La France n’est pas là pour défendre les intérêts de la Guinée. Le gouvernement français et c’est légitime, est là pour défendre l’intérêt de la France. Il appartient à la Guinée, à son gouvernement de défendre les intérêts légitimes de la Guinée et dans le respect des principes universellement admis en matière de démocratie, en matière de bonne gouvernance et en matière de politique de développement, donc cette…: telle est avec la France, telle n’est pas avec la France.
Moi, je suis Africain, Guinéen, fière de l’être et j’ai un grand amour pour la culture française parce que c’est une belle culture, j’ai un grand amour pour mon pays, les deux ne sont pas inconciliable. Ce qui est important au lieu de passer notre temps à tenir les autres responsables de ce que nous sommes. On ferait mieux de passer notre temps à travailler, à adopter la rigueur, la rigueur est une habitude. Aujourd’hui on a perdu l’habitude de la rigueur donc on panique parce que l’administration n’a pas été habituée à travailler techniquement, je le dis avec regret mais c’est ça la vérité. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation où tout le monde doit se mettre au travail mais on a perdu cette habitude de rigueur et de responsabilité.
Un mot sur la session inaugurale de l’assemblée nationale hier ?
Très honnêtement je n’ai pas envie de commenter cette session. Je vous donne un schéma. Imaginez que dans une famille de six personnes, trois se retrouvent pour décider de l’avenir de toute la famille… Je l’ai dit dès le départ, notre pays doit signer, nous devons allez vers une grande union de la nation. Et ce n’est pas des actes qui renforcent les hostilités, les divisions, les frustrations quel que soit par ailleurs la qualité, des membres de la nouvelle assemblée, ce n’est pas une question de personne, mais aujourd’hui si nous devons tirer une leçon de cette crise, je suis désolé de le dire, ça ne va pas dans notre pays. Il faut qu’au-delà de la crise, des ripostes immédiates. Il faut qu’on prenne conscience que nous devons prendre le bon chemin et que les Guinéens doivent se retrouver sur la base des choses claires.
Il ne s’agit pas d’influence. L’unité nationale parce que c’est un mot très facile à utiliser en Guinée, mais il faut que ce soit une véritable unité de la nation qui soit basée sur le respect de principe de droit, qui soit basée sur le principe de la justice, qui soit basée sur le principe du respect mutuel… Hélas !...il n’y a aucune espérance possible pour que ce pays s’en sorte. Tant qu’on sera divisé, tant qu’on ne sera pas uni, tant qu’on n’aura pas respecté le principe de l’Etat de droit, tant qu’on n’aura pas respecté la justice, tant qu’on n’aura pas respecté les uns et les autres. On peut essayer de faire autrement, mais alors là dans ce cas, ce n’est pas la Guinée qui gagne.
Il faut qu’on comprenne : cette scission du pays, cette politique…, cette stigmatisation des uns et des autres, cette violence d’Etat, ces refus de respecter les lois de la république, ça ne peut pas faire avancer ce pays. Moi, j’ai eu l’honneur de travailler sous la responsabilité du président actuel, comme je l’ai toujours dit : je garde pour lui cette amitié qui ne changera pas, mais je dis ceci : lorsqu’on a essayé des choses, si on veut travailler pour la Guinée et les Guinéens et qu’on voit que ces choses ne marchent pas, on change, comme le disait un penseur : « la folie c’est de vouloir faire les choses de la même manière et en espérer des résultats différents ». Il faut que nous comprenions dans ce pays qu’il n’y a que le sérieux, la rigueur, le principe de responsabilité individuelle et collective, le travail, l’unité de la nation sur la base de la justice qui fera sortir de ce pays de cette situation, et tant qu’on ne fera pas cela peut être les uns gagnerons mais la Guinée perdra.
Depuis un certain moment vous avez quitté le gouvernement, quelle leçon tirez-vous de ce retrait-là et comment vous le vivez, et si le président de la République avait à nouveau besoin de vos qualités fédératives et qu’il vous tendait la main pour revenir au gouvernement. Est-ce que vous sauriez prêt à revenir servir la Guinée ?
Je l’ai toujours dit, je crois qu’il y a une multitude de manière de servir son pays, ce pays que nous aimons tout ce temps. Je crois qu’il y a d’autres Guinéens qui peuvent aussi montrer leurs amours, leurs patriotismes et leurs talents pour ce pays. Voilà, le ministre Gassama n’est pas le seul pour être plus clair et plus bref, je ne suis pas sorti par la porte pour rentrer par la fenêtre.
Si le président dit que votre présence dans le gouvernement est utile à ce stade, est-ce que c’est à exclure ou c’est une possibilité ?
Non ! Je crois que c’est à exclure, moi si je peux servir la Guinée de quelque manière que ce soit en étant ou en dehors, je le ferai avec honneur. C’est mon pays, je suis né dans ce pays, mes nombrils, mon sang est de ce pays. Je profite de cette occasion pour saluer avec amour et affection, avec respect mon Papa qui m’écoute à Kindia. Je donnerai tout pour que ce pays soit une grande nation, une grande nation d’unité, de fraternité, de responsabilité.
Transcrit par Alpha Amadou Diallo