Le 5 septembre 2021, un coup d’État mené par le Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD) a mis fin au régime d’Alpha Condé, président réélu en 2020 dans un contexte de tensions politiques et sociales.
Ce coup d’État intervient dans un climat marqué par des manifestations récurrentes contre la modification de la Constitution en 2020, qualifiée de « coup d’État constitutionnel » par plusieurs organisations de la société civile (Diallo, 2021).
Selon un rapport de Crisis Group (2022), cette instabilité résulte d’un affaiblissement systémique des institutions publiques et d’un mécontentement général face à une gouvernance jugée autoritaire et corrompue. Cette rupture brutale de l’ordre constitutionnel a ouvert une nouvelle ère de transition, dirigée par le colonel MamadiDoumbouya, commandant du Groupement des Forces Spéciales d’alors. La transition vise à rétablir un ordre constitutionnel crédible tout en répondant aux aspirations populaires pour une gouvernance équitable et transparente.
La Guinée, depuis son indépendance en 1958, a traversé plusieurs périodes de transition. La prise de pouvoir par le CNRD s’inscrit dans un contexte de crise institutionnelle et de protestations contre la modification constitutionnelle controversée de 2020. Cette situation a accentué le discrédit envers les institutions publiques et exacerbé les clivages sociaux et économiques. Selon Huntington (1991), les transitions militaires suivent souvent des schémas prévisibles marqués par un déficit de légitimité démocratique et un besoin pressant de réformes structurelles.
I. Les enjeux de la transition
Gouvernance et réformes institutionnelles
La transition actuelle se concentre sur la refonte des institutions pour garantir leur indépendance et leur efficacité. Parmi les réformes entreprises, on peut citer la mise en place d’une commission chargée de rédiger une nouvelle Constitution, visant à renforcer la séparation des pouvoirs et à protéger les droits fondamentaux.
Par ailleurs, l’établissement de la Cour des comptes en tant qu’institution indépendante a pour objectif d’améliorer la transparence dans la gestion des finances publiques. Transparency International (2023) souligne que ces initiatives pourraient réduire significativement les niveaux de corruption si elles sont pleinement mises en œuvre. Cependant, l’expérience du Burkina Faso post-Compaoré montre que de telles réformes risquent d’être perçues comme superficielles si elles ne s’accompagnent pas d’une volonté politique forte pour les appliquer rigoureusement.
La justice et réconciliation
Un autre enjeu majeur est la promotion de la justice et de la « réconciliation nationale ». Cela implique la poursuite des responsables d’abus passés et la mise en place de mécanismes de réparation pour les victimes. La justice transitionnelle, telle qu’explorée par Hayner (2011), constitue une stratégie clé pour éviter la répétition des abus et établir un climat de confiance. Toutefois, les cas du Libéria et de la Sierra Leone démontrent que la justice transitionnelle peut être entravée par des ressources limitées et des résistances politiques internes.
La participation citoyenne
L’inclusivité politique et sociale est essentielle pour garantir la légitimité de la transition. Les consultations nationales et l’implication des organisations de la société civile jouent un rôle crucial dans ce processus. Dahl (1971) insiste sur la nécessité d’un processus décisionnel participatif pour renforcer la légitimité démocratique. Néanmoins, les tensions entre les acteurs étatiques et non étatiques en Guinée mettent en lumière les défis de parvenir à un consensus sur les réformes clés.
II. Dynamiques internes et externes
Dynamiques internes
Le gouvernement de transition a adopté plusieurs mesures, telles que l’organisation des Assises Nationales pour recueillir les recommandations des citoyens sur les réformes à entreprendre. Toutefois, des défis persistent, notamment les tensions avec les partis politiques et la gestion des attentes économiques et sociales. Un chronogramme détaillant les 10 points clés de la transition, censé être exécuté entre 2022 et 2024, a été annoncé. Ces points incluent des réformes institutionnelles, la lutte contre la corruption, et l’organisation des élections.
Cependant, contre toute attente, des discours de propagande favorisant une candidature potentielle du général MamadiDoumbouya ont émergé, suscitant des inquiétudes sur le respect de l’engagement initial. Une telle rhétorique pourrait affaiblir la confiance publique dans la transition en cours et compromettre la légitimité du processus. Przeworski (1991) souligne que la perception publique de l’impartialité des acteurs de transition est essentielle pour maintenir un climat de stabilité. Ces discours risquent également de polariser davantage le débat politique, créant des fractures susceptibles de nuire à l’inclusivité nécessaire à une transition réussie.
Dynamiques externes
La transition guinéenne se déroule sous le regard attentif de la communauté internationale, notamment de la CEDEAO et de l’Union Africaine. Les sanctions imposées et les exigences pour un calendrier de transition crédible constituent des pressions significatives. Une comparaison avec les transitions au Mali et au Tchad révèle que la coopération internationale peut jouer un rôle ambivalent, oscillant entre soutien à la stabilité et exigences démocratiques parfois perçues comme intrusives.
III. Notre observation
L’évolution actuelle de la transition soulève des questions fondamentales sur la crédibilité des engagements pris par les dirigeants militaires. En comparant cette transition à d’autres cas similaires, tels que la transition militaire au Burkina Faso après le renversement de Blaise Compaoré en 2014, on observe que la légitimité repose souvent sur la capacité à organiser des élections inclusives et transparentes dans un délai raisonnable.
De même, au Mali, les retards dans l’exécution des promesses de transition ont érodé la confiance populaire et intensifié les pressions internationales. Ces exemples mettent en évidence l’importance cruciale pour les dirigeants guinéens de respecter leurs engagements afin d’éviter une crise de confiance similaire.
Selon Weber (1978), une transition politique réussie repose sur trois piliers : la légitimité rationnelle-légale, la transparence, et la capacité de l’État à respecter ses engagements. L’apparition de discours contradictoires compromet ces piliers et pourrait miner la confiance des citoyens.
La théorie de la transition démocratique (O’Donnell&Schmitter, 1986) souligne par ailleurs l’importance de maintenir un équilibre entre les attentes populaires et la gestion des élites politiques. En Guinée, la propagation d’un narratif en faveur d’une candidature militaire pourrait être perçue comme une tentative de captation du pouvoir, réduisant ainsi la capacité de la transition à obtenir un soutien populaire.
Enfin, l’inclusivité politique reste essentielle. L’exclusion des forces politiques ou l’apparition de privilèges en faveur d’un groupe restreint, comme le CNRD, pourrait intensifier les tensions et favoriser des clivages sociaux.
Perspectives
Pour assurer le succès de la transition, plusieurs recommandations peuvent être formulées :
- Réitérer les engagements initiaux du gouvernement de transition afin de restaurer la confiance des citoyens et de la communauté internationale.
- Encadrer juridiquement les ambitions politiques des membres du CNRD, en interdisant leur participation aux élections de sortie de transition.
- Renforcer la transparence dans la mise en œuvre du chronogramme de transition, notamment par la publication régulière de rapports sur l’état d’avancement des réformes.
- Promouvoir un dialogue inclusif avec les partis politiques et la société civile pour garantir la légitimité des décisions prises.
Conclusion
La transition en Guinée depuis 2021 représente une opportunité unique de « refondation politique et sociale ». Cependant, la persistance de discours contradictoires et le risque de dérive autoritaire posent des défis sérieux. Pour garantir une transition crédible et durable, il est impératif de privilégier la transparence, l’inclusivité et le respect des engagements initiaux.
Sekouba MAREGA
Politiste, Analyste politique