Chronique : Le fantôme d’un passé qui refuse de s’effacer - Dix-huit ans se sont écoulés depuis ce funeste janvier 2007, où la Guinée a basculé dans l’une des pages les plus sombres de son histoire. Ce mois-là, la colère populaire, enflée par des décennies de frustrations sociales et politiques, a embrasé Conakry et d'autres villes du pays. Portée par la voix courageuse des syndicalistes Ibrahima Fofana et Hadja Rabiatou Serah Diallo, la révolte exprimait un ras-le-bol face à un régime vieillissant, celui du général Lansana Conté.
Mais ce cri de détresse du peuple a été étouffé dans le sang. Plus de 150 morts, selon les chiffres officiels – bien plus, murmure-t-on dans les ruelles de la mémoire collective. Les bérets rouges, bras armé d’un pouvoir acculé, ont semé la terreur, transformant les espoirs en tragédie.
À l’époque, Lansana Conté, président malade et autocrate assumé, ne cachait même plus son mépris pour les institutions. Sa célèbre déclaration : « La justice, c’est moi », après avoir libéré des alliés emprisonnés pour corruption, résonne encore comme un aveu d’arrogance. Pendant ce temps, les prix des denrées flambaient, la jeunesse sombrait dans le désespoir, et les ressources naturelles du pays, riches mais mal exploitées, étaient pillées au vu et au su de tous.
Les événements de janvier 2007 sont bien plus qu’une révolte réprimée. Ils sont un miroir, une fracture, un traumatisme que la Guinée n’a jamais vraiment su panser. Dix-huit ans plus tard, les familles des victimes attendent toujours justice. Pas de procès, pas d’indemnisation, pas de reconnaissance officielle.
Le manque de volonté politique pour ouvrir ce chapitre douloureux constitue une épine dans le pied d’une nation qui aspire à la paix et à la stabilité. Certes, des transitions se sont succédé, et aujourd’hui, le colonel Mamadi Doumbouya dirige un pays qu’il promet de réformer. Mais les promesses de transparence et de lutte contre la corruption semblent bien pâles face à l’ampleur du travail restant.
Se souvenir de janvier 2007, c’est comprendre que la démocratie ne se résume pas aux urnes. Elle exige aussi vérité, justice et réconciliation. Les plaies resteront ouvertes tant qu’une commission vérité ne viendra pas éclairer les zones d’ombre, tant que les victimes ne seront pas réhabilitées, tant que l’histoire ne sera pas écrite avec honnêteté.
Le passé est une lanterne qui éclaire le présent. Pour que jamais plus un cri de justice ne soit noyé dans le sang, la Guinée doit regarder ses fantômes en face. L’avenir du pays se joue aussi dans ce courage-là.
Algassimou L Diallo