La Guinée assiste depuis plusieurs mois à une véritable série d'arrestations visant d'anciens ministres du régime d'Alpha Condé. Présentées comme un tournant dans la lutte contre la corruption, ces interpellations soulèvent autant d'espoirs que de suspicions. S'agit-il d'une véritable réparation judiciaire ou d'un simple règlement de comptes politique orchestré par la junte au pouvoir ?
Une justice enfin en marche ?
Dans les rues de Conakry, une partie de la population salue ces arrestations comme une étape nécessaire pour mettre fin à des années de détournements massifs. Moustapha Sylla, un ingénieur de Dixinn Port, exprime une satisfaction teintée de fatalisme : « Ces gens-là récoltent ce qu'ils ont semé. Ils avaient le pouvoir et la possibilité d'agir pour le bien commun, mais ils ont préféré s'enrichir. » Pour lui, il était évident que la chute d'Alpha Condé finirait par exposer l'ampleur des malversations.
Les chiffres avancés dans les enquêtes judiciaires donnent le vertige : 612 milliards de francs guinéens et 12 millions de dollars détournés par un haut responsable, 300 millions de dollars engloutis dans le projet Backbone, 50 millions pour la Sotelgui... autant de fonds publics qui auraient pu transformer la Guinée, mais qui semblent s'être évaporés.
MamadiDoumbouya, justicier ou stratège politique ?
Si l'argument de la lutte contre la corruption est largement mis en avant par les autorités, certains s'interrogent sur la véritable motivation de cette croisade judiciaire. Zakaria Touré, médecin à Matoto, rappelle que le président déchu lui-même avait promis d'arrêter les « voleurs » sans jamais aller au bout de sa logique. MamadiDoumbouya, lui, semble décidé à franchir le pas. Mais cette fermeté est-elle guidée par une véritable volonté de justice ou par la volonté d'éliminer toute opposition politique ?
Car dans le même temps, des opposants sont emprisonnés, des journalistes réduits au silence et des radios fermées. Une justice à géométrie variable qui laisse planer un doute : cette opération mains propres vise-t-elle à moraliser la vie publique ou à asseoir le pouvoir de la junte ?
Un espoir mesuré
MarlyatouSall, économiste à Cobaya, veut croire à un changement profond : « C'est une première en Guinée de voir d'anciens barons répondre de leurs actes. La justice semble enfin jouer son rôle. » Mais elle tempère aussitôt : « L'actuel gouvernement n'est pas exempt de critiques. Si ces arrestations se limitent à des figures de l'ancien régime sans toucher les nouveaux prédateurs, alors nous serons face à une simple chasse aux sorcières. »
L'enjeu est décisif : soit la Guinée saisit cette opportunité pour poser les bases d'une justice impartiale et durable, soit elle sombre dans une énième manipulation du système judiciaire à des fins politiques. La ligne entre réparation historique et instrumentalisation est mince. MamadiDoumbouya et son gouvernement devront prouver, par des actes concrets, que leur volonté de justice ne s'arrête pas aux portes de leur propre administration.
Algassimou L Diallo